Contact

Une version performée du sténopé

A l’occasion du festival Agitato qui se déroule au centre culturel Le Triangle à Rennes, Carole Novak nous propose de venir assister le mercredi 21 mai en soirée à “Une installation-performance pour un seul spectateur à la fois” (Sténopé) et les jeudi et vendredi 22 et 23 mai à “Une performance pour huit spectateurs à la fois” (Chambre noire), les deux premiers volets du Tryptique Camera obscura.

sténopé, Carole Novak

C’est à l’étage du Triangle que les spectateurs sont invités à se rendre pour assister à la performance. Quelques personnes patientent devant la porte. Toutes les cinq minutes une personne entre dans la salle. Un agent d’accueil indique la marche à suivre : il s’agit de remonter la ligne marquée au sol jusqu’au petit trou au travers duquel le spectateur peut observer. Au bout de cette ligne, le spectateur est face à une structure cubique habillée de tissu noir. Le volume semble être habité. Plusieurs éléments permettent au spectateur d’abonder à cette hypothèse, le mouvement de l’air, un souffle, une image, une voix.

- “Vous aimez regarder ?”

Une fois ces quelques mots prononcés, le spectateur a non seulement la certitude d’une présence autre mais il est également renvoyé à sa position de voyeur. La réponse importe peu, la question suffit à le mettre dans cette position. Le spectateur n’est plus seul, il est en compagnie. Comme chez le médecin lors d’un examen oculaire, on ne sait pas exactement ce qu’il faut regarder, où l’œil doit se placer. A l’intérieur l’image apparaît, disparaît, vacille, elle est en suspension dans cet espace clos formé par les pans de tissus. Si l’on s’interroge sur les rapports de la mise en scène avec le titre, on peut reconnaître la présence de l’élément principal, le sténopé. Sa fonction est détournée, il n’est plus l’objectif de l’appareil photographique mais le judas ou le trou de la serrure offrant un possible regard.

La boîte noire ou camera obscura est un des autres éléments nécessaires au discours chorégraphique sur le sténopé. Elle est symbolisée par l’espace clos formé par les quatre pans de tissu. Elle est le lieu où se forme l’image. Ne reste plus que l’image, latente, encore incertaine, flottante qui ne semble pas trouver de lieu pour se fixer. Elle rappelle la qualité de l’image formée par le sténopé. Le mot sténopé n’ayant pas la seule prétention de qualifier ce petit trou par lequel passe la lumière, ici il est à la fois le prétexte de la performance et l’intermédiaire entre réel et représentation. En revanche, l’activation du dispositif n’est effective que lorsque le support capable de recevoir l’image se présente devant le trou. C’est chez le spectateur à la recherche de ce qu’il y a à regarder que se fixe l’image qu’il vole d’un regard.

Le lendemain, l’espace est transformée. C’est à huit que les spectateurs sont conviés à participer à l’expérience.

Carol Novak et David Carquet Camera obscura

Une fois entré, chacun est invité à s’asseoir. Dans la pièce huits petits tabourets carrés sur lesquels sont posés des coussins matelassés sont placés autour d’une table rectangulaire de la même hauteur. Chaque personne a en face d’elle, posée sur la table, une boîte carrée qu’on lui demande d’ouvrir. Dans cette boîte, se trouve un foulard noir brodé que chaque spectateur se met sur les yeux.
L’application du foulard isolent les spectateurs de leur environnent visuel. Ils sont donc plus attentifs à leur environnement sonore. L’expérience peut commencer. L’artiste s’approche tour à tour de ces volontaires et leur prend délicatement la main.

- “Suivez moi”

Carole Novak est chorégraphe et sait appréhender les mouvements du corps de l’autre pour le guider avec assurance dans ce qui semble être un autre espace. Après avoir fait quelques pas et s’être assis, le spectateur est désorienté. Ses repères s’estompent. Il n’a plus conscience du groupe qui participe avec lui à l’expérience. Réflexion faites, les temps où l’artiste semble absente pour l’un des participants sont en réalité des temps où elle est présente pour d’autres. Le spectateur dans l’expectative prend goût à l’attention que lui porte l’artiste. Cette attention est rythmée tout au long de la performance par un passage de l’une à l’autre des huit personnes. Si ni la vue, ni le goût ne sont convoqués dans cette performance, en revanche les quatre autres sens sont à l’honneur.

Quel paradoxe d’évoquer la camera obscura sans ne rien donner à voir !

Carole Novak fait surgir l’image dans l’esprit à l’aide d’associations perceptives. C’est en celà qu’elle fait référence au procédé de la camera obscura. A l’origine, ce procédé est utilisé pour transposer la réalité en trois dimensions dans un espace en deux dimensions mais ne permet pas encore de fixer l’image sur un support matériel. En effet, la découverte du procédé chimique capable de fixer l’image coïncide avec la découverte de la photographie. La Chorégraphe évolue et cite en permanence l’espace de latence inhérent à la création d’une image photographique.

S’il semble que la démarche s’éloigne d’une évocation de la camera obscura, elle est bien dans la création d’une image mentale et persistante. Pour ce faire, elle s’approche et souffle une poudre parfumée et enivrante en direction du visage de chacune des personnes. Au cours de la performance, elle s’approche et se place en face du spectateur. En un espace de temps très court, elle soulève le foulard qui occulte la vue. On n’a plus qu’une image en tête : le visage de l’artiste. Une suite de mot prononcée par une voix enveloppante donne corps à l’espace. D’autres sons, souffles, déplacements, froissements de tissus… délimitent l’environnement dans lequel évolue Carole Novak. Toutes les approches de l’artiste vers le spectateur entrent en relation directe avec les mots prononcés dans la pièce. Bercée dans un monde sensuel, on se laisse submerger. Le temps s’est arrêté.

Encore une fois elle s’approche, et prend le spectateur par la main pour qu’il se lève. Les repères reprennent vie. La présence des sept autres personnes qui participent eux aussi à l’expérience se fait sentir. On a l’impression de revenir d’ailleurs. L’espace dans lequel on se trouve ne correspond en rien à ce à quoi on s’était imaginé. Debout, en cercle autour d’une ampoule rouge, inactinique, chacun se regarde comme pour attester du temps qui vient de s’écouler.

- “Merci pour votre regard”

Sur dailymotion http://www.dailymotion.com/video/x4s86p_le-stenope_creation

  1. 1 commentaire pour “Une version performée du sténopé”

  2. Par Laurent le 7 août 2010

    Voici une performance très intéressante.
    Elle doit être une expérience très forte pour les participants. Voici une belle manière de faire entrer en jeu l’odorat et le toucher souvent peu sollicités en art.

Vous devais être identifier pour poster un commentaire.